Rééducation de l’amblyopie profonde unilatérale de l’enfant

(Article paru dans « Ophtalmologies »)


Le seul traitement efficace de l’amblyopie profonde unilatérale est l’occlusion par pansement collé sur la peau. Ils existent plusieurs protocole dont l’efficacité comparée n’a jamais été étudiée correctement. C’est Marie-Thérèse BOULAD qui a ouvert la voie de l’occlusion prolongée et fait faire un grand pas au traitement de l’amblyopie, et JB WEISS qui a établi un protocole bien codifié d'occlusion prolongée par pansement.



Nous ne précisons pas "amblyopie  fonctionnelle " car toutes les amblyopies organiques de l’enfant comportent une part fonctionnelle qui peut (doit) être rééduquée (opacité, lésion rétinienne, lésion du nerf optique). Il n’est pas rare de récupérer 8/10° chez un enfant dont l’aspect de la rétine semblait à peine compatible avec 1/10°.

Le protocole publié par WEISS qui sera exposé ici reprend cette occlusion prolongée mais avec une inversion brutale de l’occlusion, à la place de la désocclusion progressive de M-T BOULAD.

Jusqu’à quel âge doit-on essayer ? J’essaye couramment jusqu’à l’âge de 9 ans, sauf difficultés particulières.


Préalable :

Ce traitement s’applique en cas d’amblyopie unilatérale.

L’autre œil, dit sain, doit avoir été examiné et être effectivement sain.

Sa réfraction doit être connue.

L’enfant doit porter la correction optique exacte des 2 yeux.

On ne peut affirmer qu’une amblyopie inverse récupère toujours que si ces conditions sont respectées. Dans les autres cas, on ne sait pas quel est le risque d’amblyopie bilatérale.

Si les parents sont séparés, il faut avoir parlé aux deux et que les deux parents soient d’accord pour entreprendre ce traitement (prendre la responsabilité d’une occlusion lorsqu’un des parents fait de la santé un élément de négociation est dangereux pour l’enfant et pour l’ophtalmologiste). Par la suite, il faut interdire que le parent qui amène l’enfant en consultation critique l’autre parent en présence de l’ophtalmologiste : " dans mon bureau, on ne peut pas faire mal aux enfants. Ni gifles, ni critiques de l’autre parent ".


Les règles à expliquer aux parents et à l’enfant:

L’occlusion initiale

Badigeonner la peau avec la teinture de Benjoin et laisser sécher. Si la peau est abimée, ne plus mettre cette teinture.

Coller le pansement sur la peau, en changeant les tailles et les marques de pansement afin que ça ne colle pas toujours au même endroit.

Laisser le pansement 24H/24H (" Pourquoi la nuit aussi ? " réponse : parce que la récupération est plus rapide.)

Ne changer le pansement que s’il est sale ou mouillé, donc en moyenne tous les 2 ou 3 jours. Le changer dans la pénombre.

La vision simultanée des deux yeux est interdite et dangereuse pendant le traitement. Si l’enfant reçoit un coup sur l’œil occlus, on doit occlure l’autre œil pour examiner l’œil traumatisé.

Les contrôles auront lieu après 8 jours, puis 15 jours, puis tous les mois (parfois après 15 jours d’emblée). Mais les parents testeront eux-même la vision du « bon » œil tous les 15 jours afin de dépister tôt une amblyopie inverse importante.

L’inversion

On inverse l’occlusion soit lorsque l’œil amblyope a acquis l’acuité visuelle initiale de l’œil sain, soit lorsqu’il ne fait plus de progrès.

Lors de l’inversion, l’enfant peut ne plus rien voir de son œil sain, jusqu’à croire qu’il fait nuit et demander d’allumer la lumière alors qu’il fait jour. C’est banal, et ça va récupérer en 2 heures à 3 jours.

On vérifiera si l’œil sain a récupéré son acuité visuelle initiale après 1 semaine d’inversion. Si ça n’est pas le cas, on poursuivra l’occlusion inverse jusqu’à ce que l’œil sain ait récupéré cette acuité initiale.

L’occlusion alternée

Puis on passera à une période d’occlusion alternée, d’autant plus asymétrique que l’œil sain aura plus vite récupéré (on peut avoir une idée assez précise en faisant tester l’acuité visuelle par les parents 2H, 6H, puis toutes les 12H après inversion, par exemple sur un test analogue à celui publié dans le numéro précédent) d’une occlusion plus prolongée.

Le relai par pénalisation

En cas de succès thérapeutique, il faudra poursuivre un traitement d’entretien par pénalisation de l’œil sain jusqu’à l’âge de 12 ans car une récidive est possible jusqu’à cet âge. Ce traitement est d’autant plus minime que l’amblyopie a bien récupéré. Chaque cycle dure 14 jours pour que les changements soient à jours fixes. Par exemple, occlusion en alternance 11 jours sur l’œil sain et 3 jours sur l’œil initialement amblyope.

Pieds et poings liés

Une fois le traitement débuté, les parents sont " pieds et poings liés " avec l’ophtalmologiste (la réciproque est vraie, du fait des responsabilités prises, mais il n’est pas utile de le souligner aux parents).

Si un autre avis est demandé, il doit l’être avant de débuter le traitement.

Armer l’enfant pour répondre aux moqueries éventuelles

L’enseignant doit être informé par les parents.

L’enfant doit savoir quoi répondre. Lorsque c’est possible, promettre un cadeau scandaleux, qui sera envié par les autres élèves est une solution éprouvée. En cas de moqueries, l’enfant sait répondre " Je suis en train de soigner mon œil, et grâce à ce pansement, je vais gagner tel jouet (dont tu rêves !) ". Pour que les autres envient cette situation de porteur de pansement sur l’œil.


L’ordonnance de pansement occlusif doit reprendre l’essentiel de l’information.

Le déroulement d’une consultation :

· Acuité visuelle de près

· Acuité visuelle de loin. On note les réponses faites de façon à pouvoir comparer.

On n’utilise qu’un test évident pour l’enfant. Tester un enfant sur l’alphabet entier s’il est juste en train de le découvrir est une cause d’erreur. De même, si on présente les dessins de Rossano-Weiss, il faut que les enfants les connaissent bien. Le test d’acuité de près est l’occasion de rafraîchir la mémoire de l’enfant, à condition d’utiliser les mêmes tests de loin et de près (cf photos 1 et 2). Sinon, il faut faire ce travail d’apprentissage en double

On ne dit pas à l’enfant tu t’es " trompé " en cas d’erreur, mais on lui demande de regarder s’il répond en regardant ailleurs.


· Skiascopie par-dessus les lunettes, à chaque fois, en 15 secondes  : on ne mesure pas l’amétropie, mais on vérifie en  5 secondes que l’enfant porte la bonne correction.


· FO : répété à chaque consultation.


S’il n’y a pas eu de progrès :

L’occlusion est-elle bien respectée ?

Réfraction sous cycloplégique (tropicamide ou skiacol)

FO encore répété.

Explorations en cas de doute diagnostique.

A part : en cas d’échec, s’il existe une déviation importante avec nystagmus persistant en abduction, il faut opérer l’œil amblyope pour le redresser et reprendre l’occlusion.



Une fois que l’œil amblyope a récupéré l’acuité visuelle initiale de l’œil sain :

On passe en occlusion alternée pendant au moins 2 mois, et au moins la moitié de la durée initiale de l’occlusion de l’œil sain.

Puis on met un film opaque sur le verre correcteur de l’œil sain.

Piège : Un enfant qui a récupéré une amblyopie droite et voit 10/10° ODG, peut être incapable d’utiliser son œil doit lorsque l’œil gauche reçoit de la lumière. Ainsi, il m’est arrivé de pénaliser un œil à 1/20°, et que cet œil reste fixateur alors que l’autre voyait 10/10°. Lors de la consultation suivante, la rechute de l’amblyopie était dramatique.

Le passage par un film opaque est donc obligatoire, et il faut quand même, lorsqu’on passe à une pénalisation, expliquer à l’enfant que s’il voit mal il peut mettre sa main devant son œil pénalisé pour regarder avec l’œil initialement amblyope. Et le revoir assez vite pour vérifier la fixation par l’œil initialement amblyope.

Si l’œil sain est presque emmétrope, le retrait des lunettes quelques minutes par jour suffit à éviter une amblyopie de l’œil sain. Sinon, il faut rapidement passer à une pénalisation permettant la fixation intermittente par l’œil initialement sain.



La suite de ce traitement est donc une pénalisation prolongée jusqu’à l’âge de 12 ans, et dont les modalités feront l’objet d’un prochain article. Le principe est de gêner la vision de l’œil sain pour forcer l’enfant à utiliser l’œil amblyope. Ces pénalisations sont le traitement d’emblée des amblyopies modérées.


En encadré le résumé de quelques études Evidence Based Medicine (médecine basée sur les preuves)


Mots clés :

Amblyopie fonctionnelle, amblyopie organique, pénalisation,  occlusion prolongée,  skiascopie.


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Amblyopie modérée :

Comparaison

 Atropine 7j/7

 Atropine 1 à 3j/7

 Pénalisation optique

         ==> Efficacité semblable

Simons and all, 1997, Ophthalmology



Enfants de moins de 7 ans, Amblyopie modérée

Comparaison Atropine / occlusion

Occlusion >10h/j ==> plus rapide que <10h/j ==> plus rapide qu'Atropine

mais il n'y a plus de différence à 6 mois

Pediatric Eye Disease Investigator Group, 2003, Ophthalmology.



ATS 1

Amblyopie modérée traitée par Atropine :

Bénéfice prouvé de 3 à 7 ans.

ATS2

Amblyopie modérée : Atropine versus occlusion  (419 enfants)

Progrès plus rapides dans le groupe "occlusion" mais pas de différence à 6 mois.

Pediatric Eye Disease Investigator Group

(Amblyopie treatment study)

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Amblyopie modérée :

Occlusion 2h/j versus 6h/j   

è Pas de différence si on impose 1h/j d'activité en vision de près.

Repka, Beck, …; Pediatric Eye Disease Investigator Group, 2003

Archives Oph



Amblyopie modérée :

Comparaison de l'occlusion 6h/j versus Tout le temps d'éveil

Pas de différence à 6 mois, mais progrès plus rapides avec plus d'occlusion lorsque AV initiale <3/10°

Pediatric Eye Disease Investigator Group, 2003

Am J Oph